Il y a trois ans, alors que je profitais d’un séjour dans la campagne milanaise chez de bons amis à moi, je suis tombé par hasard sur la publicité facebook de l’association Respublica Nova. Je découvris alors l’existence du concours Jeune Cicéron, un prix du discours politique dont c’était alors (en 2009) la 4° édition. Le sujet était le suivant : « Les mondialisations sont-elles vouées à l’échec ? » Comme j’avais un peu de temps devant moi, j’ai réfléchi un peu et puis, de retour en France, je m’y suis mis franchement, ai lu quelques trucs ici ou là et après quelques semaines je rendais ce premier discours. Les modalités sont en effet les suivantes : une fois le sujet publié, les candidats ont jusqu’à une date limite pour envoyer un discours de 30 000 signes (un peu moins de 10 pages). Une sélection est opérée et au final, le jury désigne les 7 finalistes sur la base des meilleurs discours écrits. S’en suit une phase finale au Sénat lors de laquelle les 7 finalistes ont 10 minutes pour convaincre.
Inutile de vous dire que le plus dur dans tout ça, c’est de passer de 10 pages à 10 minutes. La première fois, j’ai essayé de résumer mon discours… le résultat fut un capharnaüm confus et brouillon ; bref, je me suis planté même si mon discours écrit avait marqué (en bien) certains membres du jury. Mais je trouvai l’exercice extrêmement intéressant (un sujet imposé, une date limite, un défi oral pour finir) et je décidai donc de recommencer.
La cinquième édition (2010) avait pour sujet : « L’écologie laisse-t-elle une place à l’homme ? » Là, j’avoue que j’ai un peu sauté de joie… passionné par le sujet, exploiteur avide des ressources disponibles depuis un moment et notamment le site de Jean-Marc Jancovici, j’ai décidé de faire d’abord un plan d’intervention orale et de voir ensuite pour l’écrit. La méthode était intéressante. J’ai mis de côté mon brouillon d’oral et là encore, je rendais au final un deuxième discours. Cette fois encore, j’étais choisi parmi les 7 finalistes et je comptais ne pas me planter. Cette fois, je n’avais pas commis la même erreur. Cette fois, j’avais pris garde d’insister sur les affirmations, les exhortations mais, hélas, alors que certains jurés m’ont dit n’avoir pas été d’accord, je n’étais ni premier, ni même dans les trois premiers. J’étais un peu déçu mais l’exercice me passionnait encore et je voulais de toute façon y participer à l’écrit.
La sixième édition s’est tenue cette année 2011. Le sujet était : « La démocratie a-t-elle besoin d’élites ? » Il est tombé fin mars, je crois, et la date limite était début mai. Nous avons découvert le sujet un soir, Charlotte et moi, et nous avons passé quelques heures de brainstorming. C’est un peu un classique comme sujet, aussi fallait-il faire, peut-être plus que les autres années, un effort d’originalité, de problématisation. J’avoue que j’ai eu du mal, quand même, mais au final je suis assez content du résultat pour ce troisième discours, rendu même en avance, grâce à une ultime séance de travail avec Charlotte.
L’association a connu une difficile transition entre l’ancienne et la nouvelle équipe, aussi y a-t-il eu quelques ratés… et les résultats ne sont tombés que le lundi 6 juin, pour une finale le 11. Je reçois alors un mail m’indiquant que, une fois encore, je suis parmi les 7 finalistes (j’ai appris depuis qu’il n’y avait cette année que 50 candidats, contre 200 et + les autres années…). Un autre mail nous a informé de l’annulation de Laurent Fabius, qui devait présider le jury… j’ai alors remarqué les adresses mails des concurrents : ens, polytechnique, essec… les élites aiment à parler d’elles-mêmes 😉
Cette fois, je voulais faire les choses le mieux possible, d’autant que j’avais besoin de m’aérer l’esprit après une difficile conférence de thèse le lundi. J’ai donc fait appel à ce que j’appelle la « dreamteam » des plaidoiries de l’ADELY. C’est ainsi que mardi MM. David Houdin et Benjamin Achard m’ont aidé à sauter un premier cap, indispensable mais particulièrement difficile : m’extraire du discours écrit, dans lequel on est toujours enfermé. Le jeudi soir, je me trouvais à nouveau bien entouré des mêmes et de Pierre N. (au nom batave que je m’abstiendrai d’écorcher) ainsi que Mlles Pao et Alex, pour recevoir d’utiles commentaires, quelques idées et aussi, chose qui n’a pas de prix, une marque de confiance et leurs encouragements. Le lendemain nous partions pour Paris, Charlotte et moi, et après une très efficace matinée de travail, nous arrivions au Sénat avec une répétition dans mes écouteurs, quatre feuilles manuscrites avec les premiers mots de chaque paragraphe (astuce très efficace proposée par Cha ! bien que particulièrement stressante…) et les deux passages dont j’avais besoin textuellement. Quelques heures plus tard… j’étais désigné vainqueur de cette édition. Merci plus particulièrement à Charlotte qui en partagera le prix, non pour des raisons d’intimité, mais par mérite et en raison de sa part dans le succès (précision utile en ces temps de féminisme ambiant).
Au titre des regrets, je déplore l’absence de cocktails après la finale, non pour jouer les pique-assiettes, mais plutôt pour la discussion et les avis partagés. Au titre de l’anecdote… je suis invité pour le 14 juillet à faire un discours (en principe le même) sur la place publique de Vaison-la-romaine ! « Aux armes citoyens » ! 😉
Voilà pour ceux que cette expérience intéresse, j’espère vous avoir donné envie de participer. Je crois que l’exercice est excellent et devrait être multiplier, notamment lorsqu’on s’engage en politique. On ne travaille jamais avec assez de rigueur et de profondeur. Là, on n’a pas le choix (enfin si on veut faire les choses sérieusement). Ceux qui ont lu jusque là s’arrêteront sûrement car après le prix, je veux parler du bilan.
Tout d’abord sur le fond. Ceux qui auront le courage de lire les trois discours (mondialisations, écologie, élites) y verront j’imagine une évolution en qualité, en tout cas en style. Ils y percevront peut-être aussi une constance (malgré un affinement) de la même logique qui s’applique aux sujets. Ces sujets d’ailleurs, sont intimement liés. Les mondialisations posent le problème de l’universalité, et donc d’un idéal que l’on peut vouloir se réaliser dans le monde entier ; l’écologie pose la question des limites physiques du monde et de la nécessité de s’y conformer, de chercher une humanité inscrite dans un cycle, la stabilité dynamique, et non une croissance perpétuelle impossible ; les élites et la démocratie, c’est toute la question de la mise en œuvre de cet idéal, de la gestion des crises qui s’annoncent, en plus de la structuration sociale.
Et je crois que c’est ce dernier point qui doit faire office de bilan. Ce rapport du citoyen à la politique, aux élites, aux partis. Peut-on faire confiance aux appareils actuels, même assistés des meilleurs « experts » réunis en think-tanks parisiens ? Peut-on faire confiance à des élus obnubilés par les sondages et ne voulant dire aux électeurs que ce qu’ils veulent entendre ? (au passage, n’est-il pas affligeant de voir que les députés ne se souviennent qu’ils ont un pouvoir sur le gouvernement que lorsque leurs administrés se plaignent des RADARS ???)
Mais ce bilan « jeune cicéron », s’insère dans un bilan plus global, dont il me prend l’envie d’ébaucher les contours ici même, au risque d’être bien trop long. Qu’importe, je crois honnête de dire que j’écris essentiellement pour moi ici (vu le nombre de lecteurs). Je ne crois qu’il y ait besoin de « faire de la politique autrement », chose qui signifie souvent « politique n’importe comment » dixit Q.T. Mais si les structure sont là : régime représentatif, parti politiques, etc. Elles sont comme des artères bouchées, réseau sclérosé d’un organisme anémié. La vie n’y coule plus guère, tout y stagne et, fatalement, y pourrit.
Je n’ai qu’une modeste expérience mais je crois que l’indifférence et le mépris que subissent les jeunes dans les partis leur confèrent une lucidité parfois bien supérieure à leurs aînés. En trois ans de Parti socialiste, j’ai l’interne et l’externe d’une formation structurées sous formes de clans plus ou moins idéologiques, essentiellement personnels. J’ai vu des tabous et des totems composer une grammaire poussérieuse, composée d’un verbiage obligé, codé, mais finalement stérilisant. J’ai vu des gens bien, être à ce point meurtris, blessés, humiliés, dégoûtés, finir par se plier aux exigences du système, adopter les règles du jeu et en oublier jusqu’à la raison profonde de leur engagement : l’idéal.
J’ai découvert avec le modem que non seulement la présidentielle est la plus infantilisante institution de la République, mais aussi le pire ennemi du progrès démocratique. Certes, François Bayrou (pour lequel je n’ai pas voté…) a adopté une position intéressante, celle de l’honnête homme désirant restaurer les fondamentaux de la République afin de se préparer aux grands défis à venir. Bien sûr, on peut lui reprocher bien des choses, et notamment d’avoir trop vite laisser retomber l’enthousiasme de la présidentielle. Il est vrai que le jeune adhérent que j’étais en juin, était déjà un peu désabusé et pessimiste lors du congrès fondateur de décembre. Mais la vérité, c’est que la vie politique est hermétique aux vrais débats, aux vrais échanges, à la prise de risque et à la nouveauté. Il faut aux médias des idées de 45″, il faut à l’électeur une stabilité, des représentations simples et faciles à intégrer (Mélenchon le tribun, Royal la Sainte, etc.) Même les intellectuels sont séparés en deux catégories : ceux qui sont à la télé, et les autres. Je vous laisse devenir dans laquelle catégorie se trouve la qualité.
Je ne suis pas un « centriste », je n’arrive pas à dire qu’il peut n’y avoir ni gauche ni droite ; je pense en revanche qu’il n’y a pas UNE gauche et UNE droite ; il y a un spectre politique dont le nuancier comprend des gauches et des droites (au centre, peut-on peut-être opérer un regroupement). Ce dont je suis sûr en revanche, c’est qu’il y a un côté vers lequel je ne trouve aucun désaccord sur l’idéal que nous poursuivons (l’émancipation et la justice), tandis que de l’autre, il ne me faut pas avancer de beaucoup pour tomber sur des divergences irréductibles.
Pour autant, je crois que le spectre est perturbé, faussé. Trop des couleurs sont artificielles, héritées d’une époque où le principal élément de classement de la vie politique était : le marxisme. Celui-ci ayant disparu, nous retrouvons un spectre politique finalement plus proche des années 1870-1900, avant que le socialisme (collectiviste, Jaurès serait au NPA, pas au PS… lol) ne fasse irruption et, bien sûr, avant 1917 et l’arrivée du communisme. Mais nous maintenons les dénominations, les réflexes voire les invectives de la période 1917-1989. Cela explique en partie que l’on refuse de considérer amicalement le Modem à gauche alors que (et lisez bien mes discours), de nombreuses propositions pourraient avoir les faveurs de Mélenchon et ne trouver beaucoup de responsables PS pour les exprimer.
Mais, je le disais, l’expérience du Modem m’a montré que ce n’est pas dans le jeu politique partisan, à l’occasion d’une présidentielle, que les choses pourront changer durablement. Il faut agir à une charnière bien moins évidente, sur laquelle il est difficile d’avoir de prise, mais qui, pourtant, est la plus fondamentale : celle qui unit le citoyen au parti. Lisez la fin de mon discours sur les élites, je décris ce citoyen passif mais politisé, auquel il ne manque qu’une étincelle et des occasions, pour devenir actif et jouer son rôle.
L’élection n’est plus le lieu de dévolution du pouvoir. Ce n’est que le momentum où un camp est désigné contre un autre, comme l’appareil démocrate ou républicain aux U.S. avec la porosité que l’on connaît entre les deux. Le choix des représentants, la détermination de la ligne, les choix fondamentaux, sont le fait de l’appareil lui-même, dans lequel les militants trop nombreux et trop disciplinés ne sont pas des contrôleurs.
Facile… il faut massifier les partis ! Oui, mais… un type bien qui adhère à un parti n’y reste pas longtemps… il s’enfuit même rapidement à toute jambe ou alors se fait violence et reste, mais pessimiste et désabusé.
Facile… il faut des primaires ouvertes ! C’est en effet une chose qui devrait être systématique pour toutes les élections… mais cela demande que les partis le fassent, acceptent de se mettre en danger. Et cela implique une participation effective des citoyens. Qui connaît les conseils de quartiers et autres éléments de « démocratie » local (enquêtes publiques etc.) se rend bien compte que n’y participent que les opposants ou peu s’en faut.
Bah… il suffit de passer à côté, de court-circuiter le système et de faire de la politique dans les associations, les ONG etc. C’est ce que font bien des gens qui se disent : là au moins je suis utile. Mais si leurs actions concrètes leur amène une satisfaction immédiate… quel impact ont-ils sur les trajectoires politiques de la société à long terme ? peuvent-ils prétendre réellement être autre chose qu’un pis-aller, un engagement politique détourné, succédané de la seule et vraie politique qui compte ?
So what ? Qui peut en être sûr. Mon intuition est qu’il faut maintenant essayer de se mettre à mi-chemin entre les partis et la masse des citoyens « presque » actifs, ce grand public cultivé qui notamment chez les jeunes (2% seulement d’encartés !!!), constitue un réservoir immense d’engagement. Il faut leur proposer une interface destinée à : la formation personnelle, l’affinement des idéaux et des attentes en matière politique, le contrôle que l’on doit exercer sur les élus (et donc les partis). Quant à comment faire, comment attirer, convaincre, maintenir ? Comment ne pas s’aliéner les partis sans pour autant s’y inféoder ? Comment financer ? Comment organiser ? si je savais tout ça… je serais moins perplexe et inquiet.
Je suis déjà déterminé à arrêter la procrastination… c’est déjà pas mal non, et vous ?